lundi 20 décembre 2010

Mardi 19 Décembre (Jean-François Revel)

Mardi 19 Décembre [2000, note du webmestre]. A l'occasion du quatre-vingtième anniversaire du PCF, né au congrès de Tours le 29 Décembre 1920, Robert Hue, quarante-quatre ans après Khroutchev, se livre au premier acte de « repentance », au premier aveu de la criminalité communiste dus à un dirigeant national français. Hue reconnaît que l'adhésion à l'Internationale communiste a eu « pour très lourde conséquence » de « jeter » les partis dans « l'obéissance aux dogmes staliniens ». Il poursuit : « C'est alors que s'est imposée une conception des partis communistes qui en faisait les instruments d'un mouvement communiste international au sein duquel avait force de loi la reconnaissance du modèle soviétique.» « Il faut bien le dire, a-t-il ajouté, le Parti communiste français ne fut pas le moins zélé à se ranger à cette conception. » Avant de conclure : « On sait à quels monstrueux aveuglements sur des réalités terribles, et parfaitement antagoniques avec l'idéal communiste, a conduit à cette conception. »
Robert Hue doit-il désormais s'attendre de la part de Marianne ou de Laurent Joffrin dans L'Observateur à des articles aussi violents et méprisants que ceux qui me furent décochés dans ces organes au début de l'année, lorsque je publiai La Grande Parade? Sans doute pas. Joffrin ne le dépeindra pas, lui, comme un fou qui erre dans les steppes en hurlant : « Goulag !Goulag ! » car Hue se raccroche au mythe, chéri également par la gauche non communiste, selon lequel le totalitarisme soviétique aurait été l'œuvre du seul Staline et fut une trahison de l'idée communiste originelle.
Pieux mensonge historique ! Mauvaise action contre la vérité ! L'asservissement des PC à l'Internationale Communiste, c'est-à-dire à Moscou, fut exigé par Lénine dès le départ. Ce fut même tout l'enjeu du congrès de Tours. Aucun écolier ne l'ignore - ou ne devrait l'ignorer si l'on enseignait encore l'histoire dans les écoles. La seizième des vingt et unes conditions posées par Lénine aux adhérents à la IIIe Internationale stipule en effet : « Toutes les décisions des congrès de l'Internationale communiste, de même que celles du Comité exécutif, sont obligatoires pour tous les partis affiliés à l'Internationale communiste. » Et la 21e condition bannit tout débat, tout droit même à poser des questions : « Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'IC doivent être exclus du Parti. »
Quant au fait que la terreur, le bain de sang, la déportation, le système concentrationnaire aient été inaugurés par Lénine en personne dès les premiers jours du régime bolchévique, ne l'ignorent que ceux qui veulent bien l'ignorer, aujourd'hui comme jadis et jadis comme naguère.« Ignorance » est en l'occurrence un euphémisme pour mensonge. La terreur a été partout et toujours consubstantielle au communisme, pas seulement en Union soviétique et pas seulement sous Staline. Ce ne peut pas être un hasard.
Mais, vu l'arriération traditionnelle du PCF, comparable de nos jours à celle du seul Parti portugais, le geste de Robert Hue mérite un coup de chapeau. Comme j'ai eu souvent l'occasion de l'observer, les palinodies communistes embarrassent moins les communistes eux-mêmes qu'elles ne jettent dans les convulsions les compagnons de route.


Jean-François Revel, in Les Plats de Saison

dimanche 7 novembre 2010

Le Pragmatisme



Le pragmatisme n'est qu'une désignation polie de l'absence de principes, c'est bien pour cela qu'il paraît à première vue si pratique. Ceux qui en usent prospèrent sous tous les régimes, ils sont acceptés par tous les régimes, car ils soutiennent toujours la force, indépendamment de ce que cette force représente.

Vladimir Konstantinovitch Boukovsky (Владимир Константинович Буковский) in Cette Lancinante Douleur de la Liberté, traduit par Nikita Krivochéine

lundi 1 novembre 2010

S'il avait vécu plus longtemps... (Roger Nimier)


Les chrétiens eux-mêmes ne songent qu'à démontrer deux choses : d'abord que le Christ ne manquait pas de bonne volonté et que, s'il avait vécu plus longtemps, il aurait lu Marx et en aurait tiré des conclusions.



Roger Nimier, in Les Enfants tristes

dimanche 24 octobre 2010

Ersatz et ectoplasmes (Renaud Camus)


Je crois comprendre ce que voulait dire Catherine Clément, et je ne suis pas loin de penser comme elle - ce qui ne me met pas dans une situation très facile pour me lamenter comme je le fais ici, malgré tout, sur la culture et son peu enviable destin. Disons qu’un des maux qui se sont abattus sur elle, et qui menacent de l’achever, c’est que voyagent sous son nom et se produisent à travers le monde, avec grand succès, sous son identité, toute sorte d’hypostases, d’ersartz et d’ectoplasmes qui, par le bruit qu’ils font et par le train qu’ils mènent, donnent au public l’illusion qu’elle ne s’est jamais portée si bien, alors que nous la voyons agoniser sous nos yeux.

Renaud Camus, in La Grande Déculturation

jeudi 22 avril 2010

Samedi 22 Avril (Jean-François Revel)

Samedi 22 Avril [2000, note du webmestre]. Il y'a deux choses qu'adorent les démocraties, à condition que cela leur vienne d'un potentat classé « progressiste » ou effectivement encore communiste ou, pour le moins, à la tête d'un pays pauvre (c'est-à-dire, en règle générale, appauvri par le potentat en question) : ces deux choses sont : se faire insulter et se faire escroquer.
Ainsi Vladimir Poutine, cette semaine, d'un côté menace : « L'Europe pourrait payer très cher sa position sur la Tchétchénie »; de l'autre accuse le G7 de ne pas verser assez vite l'argent nécessaire pour achever la fermeture de Tchernobyl et la construction de deux nouveaux réacteurs en Ukraine.
Moyennant quoi, les dirigeants démocratiques tremblent d'extase devant lui. Blair force la reine à l'inviter à prendre le thé. On l'attend à Paris où, soyons-on certains, nos dirigeants ne seront pas à court de flagorneries - ni d'argent, le nôtre, celui des citoyens. Personne ne lui demandera des nouvelles du Kremlin-gate, de ses liens mafieux avec Milosevic, ni des réseaux gouvernementaux moscovites ayant partie liée avec le crime organisé.

Lorsque j'ai déjeuné avec Hugues Aufray en janvier, il m'a offert deux livres d'Élie Faure que j'ai été fort heureux de recevoir en cadeau puisqu'il s'agit d'œuvres de cet auteur que je n'avais pas lues. Ce sont Découvertes de l'archipel, paru en 1929 (donc juste après l'achèvement de l'Histoire de l'art), et D'autres terres en vue, qui est de 1932. (Élie Faure est mort en 1937.)
Ce qui me frappe, dans ces deux textes, outre, une fois de plus, l'imitation poussée jusqu'au mimétisme que fera Malraux, dans Les Voix du silence, de la phrase faurienne, avec ses vagues successives qui montent chaque fois plus haut comme le flux sur la grève, c'est à quel point, avant la guerre, et depuis le XIXe siècle l'explication des civilisations des civilisations par la race semblait aller de soi et ne passait nullement pour une incitation à la haine ou à la discrimination. Dans Découverte de l'archipel, Élie Faure, dissertant sur l'Italie , parle du bassin du Pô qui, selon lui, « depuis vingt-cinq siècles, est resté presque complètement peuplé de brachycéphales celtisés, race apportant à l'Italie son élément le plus positif ». Il ajoute : « Tout le Sud est habité, tout comme aux temps mêmes de Rome, par des Hellènes sémitisés et mélanisés, dont l'élément arabe de Sicile n'a pu que renforcer les aptitudes philosophiques : et c'est par eux que s'est glissée dans le nord et le centre cette action dissolvant qui a contribué à corrompre les mœurs tout en entretenant les facultés critiques et, en fin de compte, dès qu'elle a dominé dans la politique, a préparé l'Italie à la servitude. »
Outre le caractère de toute évidence suprêmement fantaisiste de ces élucubrations étonnantes de la part d'un médecin qui avait une formation malgré tout un peu scientifique, on imagine les hurlements que susciterait Umberto Bossi s'il se permettait aujourd'hui d'avancer le dixième de tels propos en faveur de la supériorité de la race padane. Un nouveau tribunal de Nuremberg ne serait pas de trop pour écraser l'infâme. Mais Élie Faure ne pensait pas à mal et personne ne songeait à lui en vouloir. C'est que l'holocauste a frappé d'interdit toute explication par la race, non parce qu'elle est invérifiable et arbitraire, mais parce qu'elle est considérée comme un appel au racisme. La mention même de la race en France est taboue quand on arrête un délinquant. Dans le dernier recensement, aux États-Unis, parmi plusieurs dizaines de questions, la seule qui n'était pas posée dans les formulaires était : « Quelle est votre race ? » On aurait pu la poser d'une manière ne prêtant pas à malentendu, par exemple : « Êtes-vous d'origine européenne ? asiatique ? africaine ? latino-américaine ? indienne d'Amérique du Nord ? moyenne orientale ? » Sans cela, comment évaluer la composition de la population des États-Unis ? Le renseignement sociologique n'implique en lui-même aucune intention discriminatoire.
Cette conséquence du traumatisme de la Shoah - et, à un moindre degré, de la lutte contre le racisme anti-noir aux Etats-Unis - a crée une rupture totale avec l'avant-guerre dans ce domaine. Et je rappelle qu'Élie Faure a été, sa vie durant, tout ce qu'il y'a de gauche. Dreyfusard militant, il écrit, en 1898, dans L'Aurore, un article pour soutenir Zola. Il a 25 ans. A 64 ans, juste avant sa mort, son dernier geste public sera d'envoyer à Léon Blum une lettre pour protester contre la non-intervention de la France aux côtés des républicains espagnols durant la guerre civile.

Jean-François Revel, in Les Plats de Saison

dimanche 21 février 2010

Les syndicats (Antoine Chainas)


Il pensait connaître les syndicats. Il savait comment ça fonctionnait. Après un ou deux coups d'éclat, et sous la pression des leaders, le mouvement s'essoufflerait. Comme par hasard, un mois ou deux après, lesdits leaders obtiendraient des postes pour siéger dans un CE, pour être attachés de police dans une ambassade de leur choix ou affectés dans une section du Conseil économique et social à vingt mille balles pour cinq ou six jours par mois de présence. C'était comme ça que le gouvernement cassait les mouvements et c'était comme ça qu'il tenait les syndicalistes : en rapprochant les têtes d'affiche du grisant pouvoir politique. Dans quelques années, après quelques signatures d'accords hasardeux, la grogne resurgirait, les élections désigneraient de nouvelles valeurs montantes, jugées plus intègres... Et puis il y aurait de nouveaux coups d'éclat, de nouvelles frictions avec un tas de fonctionnaires lobotomisés prêts à suivre et, ensuite, de nouvelles attributions de postes, de nouvelles nominations, et cetera, et cetera...


Antoine Chainas in Versus

vendredi 21 août 2009

L'impôt proportionnel ( Pierre-Joseph Proudhon )

De deux choses l'une : ou l'impôt proportionnel garantit et consacre un privilège en faveur des forts contribuables, ou bien il est lui même une iniquité. Car, si la propriété est de droit naturel, comme le veut la déclaration de 1793, tout ce qui m'appartient en vertu de ce droit est aussi sacré que ma personne ; c'est mon sang, c'est ma vie, c'est moi-même : quiconque y touche offense la prunelle de mon oeil. Mes 100 000 francs de revenu sont aussi inviolables que la journée de 75 centimes de la grisette, mes appartements que sa mansarde. La taxe n'est pas répartie en raison de la force, de la taille, ni du talent : elle ne peut l'être davantage en raison de la propriété.

Si donc l'État me prend plus, qu'il me rende plus, ou qu'il cesse de me parler d'égalité des droits ; car autrement la société n'est plus instituée pour défendre la propriété, mais pour en organiser la destruction. L'État, par l'impôt proportionnel, se fait chef de bande ; c'est lui qui donne l'exemple du pillage en coupes réglées ; c'est lui qu'il faut traîner sur le banc des cours d'assises, en tête de ces hideux brigands, de cette canaille exécrée qu'il fait assassiner par jalousie de métier.

Pierre-Joseph Proudhon in Qu'est-ce que la propriété ?