vendredi 21 août 2009

L'impôt proportionnel ( Pierre-Joseph Proudhon )

De deux choses l'une : ou l'impôt proportionnel garantit et consacre un privilège en faveur des forts contribuables, ou bien il est lui même une iniquité. Car, si la propriété est de droit naturel, comme le veut la déclaration de 1793, tout ce qui m'appartient en vertu de ce droit est aussi sacré que ma personne ; c'est mon sang, c'est ma vie, c'est moi-même : quiconque y touche offense la prunelle de mon oeil. Mes 100 000 francs de revenu sont aussi inviolables que la journée de 75 centimes de la grisette, mes appartements que sa mansarde. La taxe n'est pas répartie en raison de la force, de la taille, ni du talent : elle ne peut l'être davantage en raison de la propriété.

Si donc l'État me prend plus, qu'il me rende plus, ou qu'il cesse de me parler d'égalité des droits ; car autrement la société n'est plus instituée pour défendre la propriété, mais pour en organiser la destruction. L'État, par l'impôt proportionnel, se fait chef de bande ; c'est lui qui donne l'exemple du pillage en coupes réglées ; c'est lui qu'il faut traîner sur le banc des cours d'assises, en tête de ces hideux brigands, de cette canaille exécrée qu'il fait assassiner par jalousie de métier.

Pierre-Joseph Proudhon in Qu'est-ce que la propriété ?

mardi 21 avril 2009

Vendredi 21 Avril (Jean-François Revel)


Vendredi 21 Avril [2000, note du webmestre]. Après 38 jours de grève, les facteurs niçois, ayant enfin réussi à « négocier » avec la direction, c'est-à-dire à imposer à celle-ci toutes leurs exigences, reprennent le travail. Mais ils trouvent intolérable que la Poste embauche pendant deux semaines quelques intérimaires pour aider à distribuer moins lentement les quelques 2 millions d'objets que les Niçois n'ont pas reçus. Ainsi les citoyens-contribuables attendront encore plus longtemps leur courrier. Les facteurs estiment qu'il revient à eux seuls d'assurer leur « mission de service public » !!

Grand révélation à la radio : depuis l'arrestation de Dutroux, ce pédophile assassin de petites filles, en Belgique, la police, la justice, les autorités belges sont plus vigilantes, la répression contre les pédophiles plus dure, si bien, disent les sociologues, qu'on peut parler d'une ère d'avant et d'après Dutroux. Est-il vraiment nécessaire d'avoir recours à l'immense savoir des sociologues pour faire un constat qui est à la portée de n'importe quel lecteur du journal du matin ? La poudre aux yeux scientifique, spécialité de la sociologie.

Ai-je bien entendu Mme Lebranchu, ministre de je ne sais quoi, exprimer sa « très profonde émotion » devant la mort « bouleversante » de la jeune femme tuée dans l'attentat de Dinan, tout en ajoutant que l'on peut, certes, s'en prendre à un symbole (le « Macdo », symbole de la mondialisation, de l'impérialisme américain) à condition d'épargner les vies humaines ? Elle trouve donc légal, républicain et légitime de détruire un restaurant à coups d'explosifs à condition qu'il n'y ait pas mort d'homme ? Il est urgent que Mme Lebranchu demande à sa collègue, la gardeuse des Sceaux, de lui offrir un exemplaire du Code pénal français

La dernière fois que j'ai vu Mario Vargas Llosa, le 27 mars dernier, lors d'un déjeuner chez Claude Imbert, il m'a apporté un exemplaire de son nouveau roman, La Fiesta del Chivo, qui vient de sortir à Madrid. Je l'ai emporté en Bretagne et j'en achève aujourd'hui la lecture.
L'histoire se déroule à Saint-Domingue, en partie durant la dernière année de la dictature de Trujillo, assassiné en 1961. Le dictateur est d'ailleurs l'un des deux personnages principaux du roman. L'autre est une femme de 49 ans, qui revient dans son île d'origine en 1996 après avoir vécu trente-cinq ans aux Etats-Unis. De prime abord, selon les canons de la critique contemporaine, rien ne semble plus vieillot que le roman historique. Mais, précisément, La Fiesta del Chivo n'est pas un roman historique, c'est un roman dont certains personnages se trouvent par ailleurs figurer également dans les livres d'histoire. Mais ils sont traités ici en personnage de roman. Non pas que Mario prennent [ NB: cette coquille figure dans l'édition originale, l'auteur du blog entend la conserver ainsi ] des libertés avec la vérité historique. Il s'agirait alors d'histoire romancée, ce qui est tout différent. Historiques ou non, les personnages sont pour le romancier d'abord des êtres humains, qui partagent cette qualité avec les personnages imaginaires qu'ils côtoient dans le récit. En même temps, rien de moins « classique » que la structure même de ce récit, la juxtaposition et le chevauchement des séquences, qui s'éclairent mutuellement sans que le romancier explique jamais rien de façon didactique ou pesante. Nul besoin d'explication quant l'art est présent. Les lecteurs peuvent avoir oublié ou n'avoir jamais su ce qu'a été la dictature de Trujillo - et c'est à coup sûr le cas de 90% d'entre eux - et néanmoins être portés par une puissance narrative qui ne doit rien qu'à elle-même. J'en veux donner pour exemple notamment le récit, étalé par petits paquets tout au long du livre, de l'embuscade nocturne grâce à laquelle une poignée de comploteurs de la liberté parvint à descendre Trujillo.
Et pourtant, le roman véhicule une leçon politique, jamais théorisée, seulement montrée : ce qu'est une dictature cruelle, complète, exercée sur un petit peuple d'à peine 3 millions d'habitants, une dictature où le despote peut tyranniser presque chacun de ses sujets pris individuellement. Une dictature pure, sans idéologie, sauf pour la frime. Le pouvoir absolu d'un homme, d'un tyran ne servant que lui-même, tel que le dépeint Xénophon dans De le tyrannie. Avec le même art, en demeurant dans la seule veine romanesque, Mario avait réussi, dans son Histoire de Mayta, à nous faire vivre intuitivement de l'intérieur ce qu'est le phénomène terroriste. Comment et pourquoi devient-on terroriste, même et surtout dans une démocratie ? Ce déploiement narratif et psychologique au niveau des êtres humains qui en sont les acteurs ou les jouets nous fait saisir la genèse et la nature des phénomènes politiques beaucoup plus profondément que bien des analyses politologiques. Le propre de l'art littéraire est en l'occurence de transformer en réalité dramatique autonome un phénomène politique qui dès lors passionne l'imagination même d'un public qui, a priori, s'en moquait tout à fait.
Sur le plan proprement historique, toutefois, la lecture de la Fiesta del Chivo m'a rappelé un fait que j'avais oublié. C'est que les Etats-Unis ont infligé et ont fait infliger par l'Amérique latine, dans le cadre de l'OEA (Organisation des États américains), des sanctions économiques qui ont fini par mettre à genoux la dictature de Trujillo, avant même que celui-ci ne fût abattu. Or celui-ci était un dictateur de droite et même d'extrême-droite, si jamais il en fut. Les sanctions qui le frappèrent furent beaucoup plus dure que l'embargo que les Etats-Unis (et seulement eux) devaient appliquer plus tard à Castro. Donc, il est faux de dire que Washington n'a cherché à « déstabiliser » que des régimes communisants et jamais des tyrans de droite.

Jean-François Revel, in Les Plats de Saison

vendredi 20 février 2009

Le plus grand Malheur des Hommes (Chateaubriand)


Le plus grand malheur des hommes, c'est d'avoir des lois et un gouvernement. Tout gouvernement est un mal, tout gouvernement est un joug.

François-René de Chateaubriand, in Essai sur les révolutions ( Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes considérées dans leurs rapports avec la révolution française )

mardi 20 janvier 2009

Pourquoi ne ferions-nous pas cela ? (Spencer)


Voici sous sa forme la plus simple une question posée tous les jours : "Nous avons déjà fait ceci ; pourquoi ne ferions nous pas cela ?" Et le respect pour les précédents, qui y est impliqué, pousse toujours à de nouvelles réglementations. S'étendant à des branches de l'industrie de plus en plus nombreuses, les actes du parlement restreignant les heures de travail et prescrivant la manière de traiter les ouvriers, doivent maintenant être appliqués aux magasins. De l'inspection des hôtels garnis pour limiter le nombre des locataires et imposer des conditions de salubrité, nous avons maintenant passé à l'inspection de toutes les maisons au-dessous d'un certain loyer dans lesquelles logent des membres de plus d'une famille, et nous allons bientôt passer à l'inspection de toutes les maisons exiguës 1. On s'appuie sur l'achat et l'exploitation des télégraphes par l'État pour réclamer l'achat et l'exploitation des chemins de fer par l'État. La fourniture de nourriture intellectuelle aux enfants par l'administration publique doit être suivie, dans quelques cas, de fourniture d'aliments pour leur corps ; et quand l'usage en sera graduellement généralisé, nous pouvons nous attendre à ce que la gratuité de la fourniture déjà proposée dans un cas le soit aussi plus tard dans l'autre ; cette extension 2 est la conséquence logique de l'argument d'après lequel il faut un corps solide aussi bien qu'un esprit solide pour faire un bon citoyen. Et ensuite, en s'appuyant ouvertement sur les précédents fournis par l'église, l'école et la salle de lecture, toutes entretenues aux frais du public, on soutient que "le plaisir, dans le sens où ce mot est généralement pris aujourd'hui, a besoin d'être réglé et organisé par des lois aussi bien que le travail 3."

Ces empiétements de la réglementation doivent être attribués non-seulement aux précédents, mais encore à la nécessité de suppléer aux mesures inefficaces et de remédier à des maux artificiels qui surgissent continuellement. L'insuccès ne détruit pas la foi dans les moyens employés ; mais il suggère l'idée d'en user d'une manière plus rigoureuse ou de les appliquer dans un plus grand nombre de cas. Comme ces lois contre l'intempérance, remontant aux temps anciens et maintenues jusqu'à notre époque, où de nouvelles restrictions à la vente des liqueurs enivrantes occupent bien des nuits pendant chaque session, n'ont pas produit l'effet attendu, on en réclame de plus sévères qui défendent la vente d'une façon absolue dans certaines localités ; et ici, comme en Amérique, on demandera sans doute plus tard que cette défense soit rendue générale. Les nombreux remèdes pour "extirper" les maladies épidémiques n'ayant pas réussi à empêcher la petite vérole, les fièvres, etc., d'exercer leurs ravages, on sollicite un nouveau remède consistant dans le droit donné à la police de visiter les maisons pour voir s'il y a des personnes atteintes du mal, et dans l'autorisation accordée aux médecins d'examiner n'importe quelle personne pour s'assurer qu'elle n'est point atteinte d'une maladie contagieuse ou infectieuse. Des habitudes d'imprévoyance ayant été développées pendant des générations par la loi des pauvres, et le nombre des imprévoyants ayant été augmenté par elle, on propose maintenant de remédier aux maux causés par la charité obligatoire en rendant l'assurance obligatoire.

Le développement de cette politique, amenant le développement d'idées correspondantes, entretient partout cette opinion d'après laquelle le gouvernement devrait intervenir toutes les fois qu'une chose ne va pas bien. "Certainement vous ne voudriez pas que ce mal continuât !" s'écrie tel ou tel, si vous soulevez quelque objection contre ce. qui se dit ou se fait maintenant. Remarquez ce que cette exclamation implique. D'abord elle admet comme certain que toute souffrance devrait être empêchée, ce qui n'est pas vrai ; beaucoup de souffrances sont curatives, et les empêcher, ce serait empêcher l'effet d'un remède. En second lieu, elle admet comme certain que tous les maux peuvent être soulagés ; or, la vérité est qu'avec les défauts inhérents à la nature humaine, bien des maux peuvent seulement être changés de place ou de forme, ce changement augmentant souvent leur intensité. L'exclamation implique aussi la ferme croyance que l'État devrait porter remède aux maux de toute espèce. On ne se demande pas s’il y a d’autres moyens capables de remédier à certaines maux, et si les maux en question sont du nombre de ceux auxquels ces moyens peuvent obvier. Et évidemment plus le gouvernement intervient souvent, plus cette manière de penser s’enracine, et plus on réclame son intervention avec insistance.

1. Voyez lettre de "Local Government Board". Times, 2 janvier 1884.
2.La preuve vient plus vite que je ne m'y attendais. Cet article a été imprimé depuis le 30 janvier, et dans l'intervalle, à savoir le 13 mars (cet article a été publié le 7 avril), le comité scolaire de Londres a résolu de demander l'autorisation d'employer des fonds de bienfaisance locale pour fournir gratuitement des repas et des vêtements aux enfants indigents. A présent la définition du mot "indigent" sera élargie ; elle comprendra un plus grand nombre d'enfants et on demandera plus de fonds.
3."Fornightly Review", janvier 1884, p. 21.

Herbert Spencer, in L'Individu contre l'Etat ( The Man versus the State )