mardi 20 janvier 2009
Pourquoi ne ferions-nous pas cela ? (Spencer)
Voici sous sa forme la plus simple une question posée tous les jours : "Nous avons déjà fait ceci ; pourquoi ne ferions nous pas cela ?" Et le respect pour les précédents, qui y est impliqué, pousse toujours à de nouvelles réglementations. S'étendant à des branches de l'industrie de plus en plus nombreuses, les actes du parlement restreignant les heures de travail et prescrivant la manière de traiter les ouvriers, doivent maintenant être appliqués aux magasins. De l'inspection des hôtels garnis pour limiter le nombre des locataires et imposer des conditions de salubrité, nous avons maintenant passé à l'inspection de toutes les maisons au-dessous d'un certain loyer dans lesquelles logent des membres de plus d'une famille, et nous allons bientôt passer à l'inspection de toutes les maisons exiguës 1. On s'appuie sur l'achat et l'exploitation des télégraphes par l'État pour réclamer l'achat et l'exploitation des chemins de fer par l'État. La fourniture de nourriture intellectuelle aux enfants par l'administration publique doit être suivie, dans quelques cas, de fourniture d'aliments pour leur corps ; et quand l'usage en sera graduellement généralisé, nous pouvons nous attendre à ce que la gratuité de la fourniture déjà proposée dans un cas le soit aussi plus tard dans l'autre ; cette extension 2 est la conséquence logique de l'argument d'après lequel il faut un corps solide aussi bien qu'un esprit solide pour faire un bon citoyen. Et ensuite, en s'appuyant ouvertement sur les précédents fournis par l'église, l'école et la salle de lecture, toutes entretenues aux frais du public, on soutient que "le plaisir, dans le sens où ce mot est généralement pris aujourd'hui, a besoin d'être réglé et organisé par des lois aussi bien que le travail 3."
Ces empiétements de la réglementation doivent être attribués non-seulement aux précédents, mais encore à la nécessité de suppléer aux mesures inefficaces et de remédier à des maux artificiels qui surgissent continuellement. L'insuccès ne détruit pas la foi dans les moyens employés ; mais il suggère l'idée d'en user d'une manière plus rigoureuse ou de les appliquer dans un plus grand nombre de cas. Comme ces lois contre l'intempérance, remontant aux temps anciens et maintenues jusqu'à notre époque, où de nouvelles restrictions à la vente des liqueurs enivrantes occupent bien des nuits pendant chaque session, n'ont pas produit l'effet attendu, on en réclame de plus sévères qui défendent la vente d'une façon absolue dans certaines localités ; et ici, comme en Amérique, on demandera sans doute plus tard que cette défense soit rendue générale. Les nombreux remèdes pour "extirper" les maladies épidémiques n'ayant pas réussi à empêcher la petite vérole, les fièvres, etc., d'exercer leurs ravages, on sollicite un nouveau remède consistant dans le droit donné à la police de visiter les maisons pour voir s'il y a des personnes atteintes du mal, et dans l'autorisation accordée aux médecins d'examiner n'importe quelle personne pour s'assurer qu'elle n'est point atteinte d'une maladie contagieuse ou infectieuse. Des habitudes d'imprévoyance ayant été développées pendant des générations par la loi des pauvres, et le nombre des imprévoyants ayant été augmenté par elle, on propose maintenant de remédier aux maux causés par la charité obligatoire en rendant l'assurance obligatoire.
Le développement de cette politique, amenant le développement d'idées correspondantes, entretient partout cette opinion d'après laquelle le gouvernement devrait intervenir toutes les fois qu'une chose ne va pas bien. "Certainement vous ne voudriez pas que ce mal continuât !" s'écrie tel ou tel, si vous soulevez quelque objection contre ce. qui se dit ou se fait maintenant. Remarquez ce que cette exclamation implique. D'abord elle admet comme certain que toute souffrance devrait être empêchée, ce qui n'est pas vrai ; beaucoup de souffrances sont curatives, et les empêcher, ce serait empêcher l'effet d'un remède. En second lieu, elle admet comme certain que tous les maux peuvent être soulagés ; or, la vérité est qu'avec les défauts inhérents à la nature humaine, bien des maux peuvent seulement être changés de place ou de forme, ce changement augmentant souvent leur intensité. L'exclamation implique aussi la ferme croyance que l'État devrait porter remède aux maux de toute espèce. On ne se demande pas s’il y a d’autres moyens capables de remédier à certaines maux, et si les maux en question sont du nombre de ceux auxquels ces moyens peuvent obvier. Et évidemment plus le gouvernement intervient souvent, plus cette manière de penser s’enracine, et plus on réclame son intervention avec insistance.
1. Voyez lettre de "Local Government Board". Times, 2 janvier 1884.
2.La preuve vient plus vite que je ne m'y attendais. Cet article a été imprimé depuis le 30 janvier, et dans l'intervalle, à savoir le 13 mars (cet article a été publié le 7 avril), le comité scolaire de Londres a résolu de demander l'autorisation d'employer des fonds de bienfaisance locale pour fournir gratuitement des repas et des vêtements aux enfants indigents. A présent la définition du mot "indigent" sera élargie ; elle comprendra un plus grand nombre d'enfants et on demandera plus de fonds.
3."Fornightly Review", janvier 1884, p. 21.
Herbert Spencer, in L'Individu contre l'Etat ( The Man versus the State )
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire