mercredi 31 octobre 2007

Immense découverte!!! (Frédéric Bastiat)

Au moment où tous les esprits sont occupés à chercher des économies sur les moyens de transport;

Au moment où, pour réaliser ces économies, on nivelle les routes, on canalise les rivières, on perfectionne les bateaux à vapeur, on relie à Paris toutes nos frontières par une étoile de fer, par des systèmes de traction atmosphériques, hydrauliques, pneumatiques, électriques, etc.;

Au moment enfin où je dois croire que chacun cherche avec ardeur et sincérité la solution de ce problème:

« Faire que le prix des choses, au lieu de consommation, se rapproche autant que possible du prix qu'elles ont aux lieux de production. »

Je me croirais coupable envers mon pays, envers mon siècle et envers moi-même, si je tenais plus longtemps secrète la découverte merveilleuse que je viens de faire.

Car les illusions de l'inventeur ont beau être proverbiales, j'ai la certitude la plus complète d'avoir trouvé un moyen infaillible pour que les produits du monde entier arrivent en France, et réciproquement, avec une réduction de prix considérable.

Infaillible! et ce n'est encore qu'un des avantages de mon étonnante invention.

Elle n'exige ni plans, ni devis, ni études préparatoires, ni ingénieurs, ni machinistes, ni entrepreneurs, ni capitaux, ni actionnaires, ni secours du gouvernement!

Elle ne présente aucun danger de naufrages, d'explosions, de chocs, d'incendie, de déraillement!

Elle peut être mise en pratique du jour au lendemain!

Enfin, et ceci la recommandera sans doute au public, elle ne grèvera pas d'un centime le budget; au contraire. Elle n'augmentera pas le cadre des fonctionnaires et les exigences de la bureaucratie; au contraire. Elle ne coûtera à personne sa liberté; au contraire.

Ce n'est pas le hasard qui m'a mis en possession de ma découverte, c'est l'observation. Je dois dire ici comment j'y ai été conduit.

J'avais donc cette question à résoudre:

« Pourquoi une chose faite à Bruxelles, par exemple, coûte-t-elle plus cher quand elle est arrivée à Paris? »

Or, je n'ai pas tardé à m'apercevoir que cela provient de ce qu'il existe entre Paris et Bruxelles des obstacles de plusieurs sortes. C'est d'abord la distance; on ne peut la franchir sans peine, sans perte de temps; et il faut bien s'y soumettre soi-même ou payer pour qu'un autre s'y soumette. Viennent ensuite des rivières, des marais, des accidents de terrain, de la boue: ce sont autant de difficultés à surmonter. On y parvient en construisant des chaussées, en bâtissant des ponts, en perçant des routes, en diminuant leur résistance par des pavés, des bandes de fer, etc. Mais tout cela coûte, et il faut que l'objet transporté supporte sa part des frais. Il y a encore des voleurs sur les routes, ce qui exige une gendarmerie, une police, etc.


Or, parmi ces obstacles, il en est un que nous avons jeté nous-mêmes, et à grands frais, entre Bruxelles et Paris. Ce sont des hommes embusqués le long de la frontière, armés jusqu'aux dents et chargés d'opposer des difficultés au transport des marchandises d'un pays à l'autre. On les appelle douaniers. Ils agissent exactement dans le même sens que la boue et les ornières. Ils retardent, ils entravent, ils contribuent à cette différence que nous avons remarquée entre le prix de production et le prix de consommation, différence que notre problème est de réduire le plus possible.

Et voilà le problème résolu. Diminuez le tarif.

- Vous aurez fait le chemin de fer du Nord sans qu'il vous en ait rien coûté. Loin de là, vous épargnerez de gros traitements, et vous commencerez dès le premier jour par mettre un capital dans votre poche.

Vraiment, je me demande comment il a pu entrer assez de bizarrerie dans nos cervelles pour nous déterminer à payer beaucoup de millions dans l'objet de détruire les obstacles naturels qui s'interposent entre la France et l'étranger, et en même temps à payer beaucoup d'autres millions pour y substituer des obstacles artificiels qui ont exactement les mêmes effets, en sorte que, l'obstacle créé et l'obstacle détruit se neutralisant, les choses vont comme devant, et le résidu de l'opération est une double dépense.



Un produit belge vaut à Bruxelles 20 F, et, rendu à Paris, 30, à cause des frais de transport. Le produit similaire d'industrie parisienne vaut 40 F. Que faisons-nous?

D'abord nous mettons un droit d'au moins 10 F sur le produit belge, afin d'élever son prix de revient à Paris à 40 F, et nous payons de nombreux surveillants pour qu'il n'échappe pas à ce droit, en sorte que dans le trajet il est chargé de 10 F pour le transport et 10 F pour la taxe.

Cela fait, nous raisonnons ainsi: ce transport de Bruxelles à Paris, qui coûte 10 F, est bien cher. Dépensons deux ou trois cents millions en rail-ways, et nous le réduirons de moitié. Évidemment, tout ce que nous aurons obtenu, c'est que le produit belge se vendra à Paris 35 F, savoir:

20 F son prix de Bruxelles
10 F droit
5 F port réduit par le chemin de fer
---------
35 F total, ou prix de revient à Paris

Eh! n'aurions-nous pas atteint le même résultat en abaissant le tarif à 5 F? Nous aurions alors:

20 F son prix de Bruxelles
5 F droit réduit
10 F port par les routes ordinaires
---------
35 F total, ou prix de revient à Paris

Et ce procédé nous eût épargné 200 millions que coûte le chemin de fer, plus les frais de surveillance douanière, car ils doivent diminuer à mesure que diminue l'encouragement à la contrebande.

Mais, dit-on, le droit est nécessaire pour protéger l'industrie parisienne. Soit; mais alors n'en détruisez pas l'effet par votre chemin de fer.

Car, si vous persistez à vouloir que le produit belge revienne, comme celui de Paris, à 40 F, il vous faudra porter le droit à 15 F pour avoir:

20 F son prix de Bruxelles
15 F droit protecteur
5 F port par le chemin de fer
---------
40 F total à prix égalisés

Alors je demande quelle est, sous ce rapport, l'utilité du chemin de fer.

Franchement, n'y a-t-il pas quelque chose d'humiliant pour le dix-neuvième siècle d'apprêter aux âges futurs le spectacle de pareilles puérilités pratiquées avec un sérieux imperturbable? Être dupe d'autrui n'est pas déjà très plaisant; mais employer le vaste appareil représentatif à se duper soi-même, à se duper doublement, et dans une affaire de numération, voilà qui est bien propre à rabattre un peu l'orgueil du siècle des lumières.

Frédéric Bastiat, in Sophismes économiques

Lorsqu'une paire de bottes vaut Shakespeare (Alain Finkielkraut)


Les héritiers du tiers-mondisme ne sont pas seuls à préconiser la transformation des nations européennes en sociétés multiculturelles. Les prophètes de la postmodernité affichent aujourd'hui le même idéal. Mais tandis que les premiers défendent, face à l'arrogance occidentale, l'égalité de toutes les traditions, c'est pour opposer les vertiges de la fluidité aux vertus de l'enracinement que les seconds généralisent l'emploi d'une notion apparue voici quelques années dans le monde de l'art. L'acteur social postmoderne applique dans sa vie les principes auxquels les architectes et les peintres du même nom se réfèrent dans leur travail: comme eux, il substitue l'éclectisme aux anciennes exclusives; refusant la brutalité de l'alternative entre académisme et innovation, il mélange souverainement les styles; au lieu d'être ceci ou cela, classique ou d'avant-garde, bourgeois ou bohème, il marie à sa guise les engouements les plus disparates, les inspirations les plus contradictoires; léger, mobile, et non raidi dans un credo, figé dans une appartenance, il aime pouvoir passer sans obstacle d'un restaurant chinois à un club antillais, du couscous au cassoulet, du jogging à la religion, ou de la littérature au deltaplane.
S'éclater est le mot d'ordre de ce nouvel hédonisme qui rejette aussi bien la nostalgie que l'auto-accusation. Ses adeptes n'aspirent pas une société authentique, où tous les individus vivraient bien au chaud dans leur identité culturelle, mais à une société polymorphe, à un monde bigarré qui mettrait toutes les formes de vie à la disposition de chaque individu. Ils prônent moins le droit à la différence que le métissage généralisé, le droit de chacun à la spécificité de l'autre. Multiculturel signifiant pour eux abondamment garni, ce ne sont pas les cultures en tant que telles qu'ils apprécient, mais leur version édulcorée, la part d'elles-mêmes qu'ils peuvent tester, savourer et jeter après usage. Consammateurs et non conservateurs des traditions existantes, c'est le client-roi en eux qui trépigne devant les entraves mises au règne de la diversité par des idéologies vétustes et rigides.
"Toutes les cultures sont également légitimes et tout est culturel", affirment à l'unission les enfants gâtés de la société d'abondance et les détracteurs de l'Occident. Et ce langage commun abrite deux programmes rigoureusement antinomiques. La philosophie de la décolonisation reprend à son compte l'anathème jeté sur l'art et la pensée par les populistes russes du XIXe siècle: "Une paire de bottes vaut Shakespeare": en plus de leur supériorité évangélique, outre le fait, autrement dit, qu'elles protègent les malheureux contre le froid plus efficacement qu'une pièce élizabéthaine, les bottes, au moins, ne mentent pas; elles se donnent d'emblée pour ce qu'elles sont: de modestes émanations d'une culture particulière -au lieu, comme les chefs-d'oeuvre officiels, de dissimuler pieusement leurs origines et de contraindre tous les hommes au respect. Et cette humilité est un exemple: s'il ne veut pas persévérer dans l'imposture, l'art doit tourner le dos à Shakespeare, et se rapprocher, autant qu'il est possible de la paire de bottes. Cette exigence se traduit dans la peinture par le minimalisme, c'est-à-dire par l'effacement tendanciel du geste créateur et par l'apparition corrélative dans les musées d'oeuvres quasi indiscernables des objets et même des matériaux quotidiens. Quant aux écrivains, ils se doivent d'adopter les canons de cette littérature qu'on appelle mineure, parcqu'à la différence des textes consacrés, c'est la collectivité qui s'y exprime, et non l'individu isolé dans son génie, séparé des autres par sa pseudo-maîtrise: terrible ascèse, et qui défavorise, par surcroît, les auteurs appartenant aux nations cultivées. Pour accéder au point de non-culture, pour rejoindre la paire de bottes, ils ont un chemin plus long à parcourir que les habitants des pays sous-développés.

Alain Finkielkraut, in La Défaite de la Pensée

samedi 27 octobre 2007

Flaubert à George Sand, 7 octobre 1871 (Gustave Flaubert)

Le lecteur me pardonnera cette digression: si cette lettre n'est naturellement pas un livre à proprement parler, elle se trouve, en revanche, dans un recueil. Et vous comprendrez aisément pourquoi je souhaitais vous en faire part

Croisset, 7 octobre 1871

Chère Maître,

J'ai reçu votre feuilleton hier, et j'y répondrais longuement si je n'étais au milieu des préparatifs de mon départ pour Paris. Je vais tâcher d'en finir avec Aïssé.

Le milieu de votre article m'a fait verser un pleur. - Sans me convertir, bien entendu! J'ai été ému, voilà tout! mais non persuadé!

Je cherche chez vous un mot que je ne trouve nulle part : Justice. Et tout notre mal vient d'oublier absolument cette première notion de la morale. - Et qui selon moi, comporte toute la morale.

La grâce, l'humanitarisme, le sentiment, l'idéal, nous ont joué d'assez vilains tours pour qu'on essaye du Droit et de la Science. Si la France ne passe pas, d'ici à peu de temps, à l'état critique, je la crois irrévocablement perdue. L'instruction gratuite et obligatoire n'y fera rien - qu'augmenter le nombre des imbéciles. Renan a dit cela supérieurement dans la préface de ses Questions contemporaines. Ce qu'il nous faut avant tout, c'est une aristocratie naturelle, c'est-à-dire légitime. On ne peut rien faire sans tête. - Et le suffrage universel tel qu'il existe est plus stupide que le droit divin. Vous en verrez de belles si on le laisse vivre! La masse, le nombre, est toujours idiot. Je n'ai pas beaucoup de convictions. Mais j'ai celle-là, fortement. Cependant il faut respecter la masse si inepte qu'elle soit, parce qu'elle contient les germes d'une fécondité incalculable. - Donnez-lui la liberté mais non le pouvoir.

Je ne crois pas plus que vous aux distinctions de classes. - Les castes sont de l'archéologie. - Mais je crois que les Pauvres haïssent les Riches, et que les riches ont peur des pauvres. Ce sera éternellement. - Prêcher l'amour aux uns comme aux autres est inutile. Le plus pressé est d'instruire les Riches, qui en somme sont les plus forts. Eclairez le bourgeois d'abord! Car il ne sait rien, absolument rien. Tout le rêve de la démocratie est d'élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. - Le rêve est en partie accompli! Il lit les mêmes journaux et a les mêmes passions.

Les trois degrés de l'instruction ont donné leurs preuves depuis un an . 1° l'instruction supérieure a fait vaincre la Prusse ; 2° l'instruction secondaire, bourgeoise, a produit les hommes du 4 septembre ; 3° l'instruction primaire nous a donné la Commune. Son ministre de l'Instruction primaire était le grand Vallès, qui se vantait de mépriser Homère.

Dans trois ans tous les Français peuvent savoir lire. Croyez-vous que nous en serons plus avancés ? Imaginez au contraire que, dans chaque commune, il y ait un bourgeois, un seul, ayant lu Bastiat, et que ce bourgeois-là soit respecté, les choses changeraient!

J'apprends aujourd'hui que la masse des Parisiens regrette Badinguet! Un plébiscite se prononcerait pour lui, je n'en doute pas. Tant le suffrage universel est une belle chose!

Cependant, je ne suis pas découragé comme vous et le gouvernement actuel me plaît, parce qu'il n'a aucun principe, aucune métaphysique, aucune blague.

Je m'exprime très mal. - Vous méritiez pourtant une autre réponse. Mais je suis fort pressé, ce qui ne m'empêche pas de vous embrasser très fortement.

Votre vieux Troubadour
Gve Flaubert

Pas si troubadour, pourtant ! Car la silhouette de l'ami, qu'on entrevoit dans votre article, est celle d'un coco peu aimable et d'un joli HHégoïste!

Flaubert à George Sand, 7 octobre 1871

jeudi 25 octobre 2007

Quoi que disent ou que nient les socialistes d'Etat... (Benjamin Tucker)


Quoi que disent ou que nient les socialistes d’État, leur système, s’il est une fois adopté, est condamné à aboutir à une religion d’État dont tous paieront les frais et qui exigera de tous l’agenouillement devant ses autels ; à une école de médecine d’État, par les praticiens de laquelle tous seront obligés de se faire soigner ; à un système étatique d’hygiène, qui prescrira ce que tous auront à manger et à boire, de quoi ils devront se vêtir et ce qu’il leur faudra faire ou ne pas faire ; à un code étatique de morale, qui, loin de se contenter de châtier le crime, réprimera tout ce que la majorité peut qualifier de vice ; à un système étatique d’enseignement, qui interdira toutes les écoles, académies et universités privées ; à une école primaire d’État, où les enfants seront obligatoirement élevés en commun sur le budget public, et enfin à une famille d’État qui tentera d’introduire scientifiquement l’eugénisme… C’est ainsi que l’autorité parviendra à son faîte, et le monopole au déploiement suprême de son pouvoir.

Benjamin Tucker, in Individual Liberty

lundi 22 octobre 2007

Le Sauvage contre la Raison (Ayn Rand)

Un sauvage est un être qui ne réalise pas que A est A, que la réalité est réelle. Son développement s’est arrêté au stade du bébé dont la conscience commence à analyser les perceptions sensorielles sans distinguer encore les objets environnants. C’est en effet le bébé qui voit le monde comme un mouvement confus, sans entités qui se meuvent; et la naissance de son esprit a lieu le jour où il comprend que la forme qui le nourrit est sa mère et que le brouillard qui est derrière elle est un rideau, que ce sont deux entités différentes qui ne peuvent s’intervertir, qui sont ce qu’elles sont, qui existent. Le jour où il réalise que la matière n’a pas de volonté et où il comprend que lui-même en a une, ce jour est celui de sa naissance en tant qu’être humain. Le jour où il comprend que le reflet qu’il voit dans le miroir n’est pas une illusion, qu’il est réel en tant que reflet; que le mirage qu’il voit dans le désert n’est pas une illusion, mais une combinaison de lumière et d’air chaud, que ce n’est pas une ville qu’il voit, mais le reflet d’une ville; le jour où il réalise qu’il n’est pas un récepteur passif qui engrange mécaniquement des sensations les unes après les autres, que ses sens ne lui fournissent pas un savoir systématique haché en petits morceaux indépendants du contexte, mais uniquement la matière du savoir que son esprit doit apprendre à intégrer; le jour où il comprend que ses sens ne le trompent pas, que le monde est régi par la causalité, que ses organes de perception sont des outils dénués de volonté, qui n’ont pas vocation à inventer ou à déformer la réalité mais à lui en fournir des preuves absolues; le jour où il comprend que son esprit doit assimiler les matériaux fournis par ses sens, qu’il doit analyser leur nature, leur cause, leur contexte, dans un travail perpétuel d’identification des objets qu’il perçoit; ce jour est celui de sa naissance comme penseur et homme de science.
Nous sommes les hommes qui ont connu ce jour; vous êtes ceux qui ont choisi de le connaître partiellement; un sauvage est un homme qui ne le connaît jamais.
Pour un sauvage, le monde est le théâtre d’incompréhensibles miracles, où la matière inanimée est toute-puissante alors que lui-même est démuni. Son monde est pire qu’inconnu; il est inconnaissable. Un sauvage croit que les objets physiques sont doués d’une volonté mystérieuse et imprévisible, alors que lui-même n’est qu’un pion animé par des forces contre lesquelles il ne peut rien. Il croit que des démons tout puissants régissent la nature, que la réalité est un terrain de jeu où ils peuvent transformer à tout moment son bol de riz en serpent et sa femme en scarabée, que tout A peut devenir le non A qui leur convient et que la seule connaissance qu’il possède est la certitude qu’il ne doit pas chercher à savoir. Il ne peut compter sur rien, il ne peut qu’espérer, et il passe sa vie à espérer, à supplier ses démons de réaliser ses prières au gré de leur bon vouloir, chantant leur louange quand ils l’exaucent et se maudissant quand ils l’ignorent, leur offrant des sacrifices en signe de gratitude et encore des sacrifices en signe de contrition, se prosternant dans une adoration craintive devant le soleil, la lune, le vent, la pluie et tout gangster qui se présente comme leur porte-parole, pourvu que ses discours soient assez incompréhensibles et son masque suffisamment effrayant. Il désire, supplie, rampe et meurt enfin, vous léguant en souvenir de sa vision de l’existence une monstruosité représentant ses idoles, des mélanges d’hommes, d’animaux, d’araignées, personnifications informes du monde du non A.
Sa condition intellectuelle est la même que celle de vos professeurs actuels et son monde est le même que celui où ils veulent vous mener.

Ayn Rand in Atlas Shrugged (la Révolte d'Atlas)

dimanche 21 octobre 2007

Le Discours d'Howard Roark (Ayn Rand)

Il y'a des milliers d'années, un homme fit du feu pour la première fois. Il fut probablement brûlé vif sur le bûcher qu'il avait allumé de ses propres mains. Il fut considéré comme un malfaiteur qui avait dérobé à un démon un secret que l'humanité redoutait. Mais, grâce à lui, les hommes purent se chauffer, cuire leurs aliments, éclairer leurs cavernes. Il leur laissa un don inestimable qui chassa les ténèbres de la terre. Des siècles plus tard, un autre homme inventa la roue. Il fut probablement écartelé sur cette roue qu'il avait enseigné à ses frères à construire. Il fut considéré comme un transgresseur qui s'aventurait dans un domaine interdit. Mais, grâce à lui, les hommes purent voyager dans toutes les directions. Il leur laissait, lui aussi, un don d'une valeur inestimable et avait ouvert pour eux les routes du monde.

Cet homme-là, le pionnier, le précurseur, nous le retrouvons dans toutes les légendes que l'homme a imaginées pour expliquer le commencement de toutes choses. Prométhée fut enchaîné à un rocher et dépecé par des vautours parce qu'il avait dérobé le feu des dieux. Adam fut condamné à souffrir parce qu'il avait mangé du fruit de l'arbre de la connaissance. Quelle que soit la légende, l'humanité sait obscurément que c'est à ces héros obscurs qu'elle doit sa gloire et que chacun d'eux paya son courage de sa vie.

Et au cours des siècles il y'eut ainsi des hommes qui s'élancèrent sur des voies nouvelles, guidés uniquement par leur vision intérieure. Leurs buts différaient, mais tous avaient ceci en commun : ils s'élançaient les premiers sur une route nouvelle, leur vision était originale et ils recevaient en retour que de la haine. Les grands créateurs : les penseurs, les artistes, les savants, les inventeurs, se sont toujours dressés, solitaires, contre les hommes de leur temps. Chaque grande pensée nouvelle ne rencontra qu'opposition ; chaque grande invention qu'incrédulité. Le premier moteur fut considéré comme une invention répréhensible, l'anesthésie comme un péché, mais les hommes qui avaient inventé tout cela continuèrent d'aller de l'avant. Ils luttèrent ; ils souffrirent, mais ils remportèrent la victoire.

Aucun de ces créateurs n'était inspiré par le désir de servir l'humanité, qui pouvait changer leur routine paresseuse. Sa conviction intérieure était son unique motif. Une œuvre à accomplir, conçue par lui, exécutée par lui. Que ce fut une symphonie, un livre, un moteur, un système philosophique, un avion ou un building… là était son but et le sens de sa vie, et non pas ceux qui entendraient, liraient ou se serviraient de ce qu'il créait. La création en elle-même et non celui à laquelle elle était destinée. L'œuvre et non pas les bienfaits qu'en retireraient d'autres hommes. L'œuvre et non pas les bienfaits qu'en retireraient d'autres hommes. Cette œuvre qui donnerait forme à sa vérité intérieure, cette vérité qui comptait plus que tout.

Sa vision intérieure, sa force, son courage, il les puisait en lui-même, dans cette entité qui est la conscience de l'homme, car penser, sentir, juger sont des fonctions du moi.

C'est pourquoi les créateurs ne sont jamais dépourvus d'égoïsme. C'est en cela que réside le secret de leur puissance ; ils trouvent en eux-mêmes leurs raisons de créer, leur source d'énergie, leur principe moteur. Le créateur ne sert rien ni personne. Il vit pour lui-même.

Et c'est uniquement en vivant pour lui-même que l'homme est capable de réaliser des oeuvres qui sont l'honneur de l'humanité, car telle est la loi même de la création.

L'homme ne peut se maintenir sur la terre que grâce à sa pensée. Il vient au monde désarmé. Son cerveau est son unique arme. Les animaux se procurent leur nourriture par la force. L'homme n'a ni griffes, ni crocs, ni cornes, ni même une très grande force musculaire. Il lui faut cultiver les aliments qu'il absorbe ou se livrer à la chasse, à la pêche. Pour cela il lui faut des armes, et ces armes sont encore une création de son esprit. Des plus humbles nécessités aux abstractions religieuses les plus hautes, de la roue au gratte-ciel, tout ce que nous sommes et tout ce que nous possédons nous vient d'une fonction que seul l'homme possède… sa faculté de raisonner.


Mais l'esprit est un attribut individuel. Il n'existe rien de pareil à un cerveau collectif. Une décision prise par un groupe d'homme n'est jamais qu'un compromis ou une moyenne de la pensée de plusieurs. C'est une conséquence secondaire. Mais l'acte premier, le processus de raisonnement, doit être accompli par un individu isolé. Nous pouvons partager un repas entre plusieurs personnes, mais ce repas ne peut être digéré par un estomac collectif, et aucun homme ne peut, à l'aide de ses poumons, respirer pour un autre. Toutes les fonctions de notre corps et de notre esprit nous sont personnelles. Nous ne pouvons ni les partager, ni les transférer.

Nous héritons du produit de la pensée des hommes qui nous ont précédés. De la roue, nous faisons une charrette, puis une auto. Cette auto se transforme en avion. Mais en réalité, tout cela n'est rien d'autre que la résultante d'une pensée. Or la faculté créatrice ne peut être ni donnée, ni reprise, ni partagée, ni empruntée, elle appartient en propre à un individu. L'œuvre qu'il créé appartient au créateur. Certes, les hommes apprennent beaucoup les uns par les autres, mais ce qu'un homme ne peut donner à un autre, c'est la capacité de penser par lui-même.

Rien n'est donné à l'homme sur la terre. Tout ce qui lui est nécessaire, il lui faut le produire. Et c'est là que l'homme se trouve en face de cette alternative : ou vivre du travail indépendant de son propre esprit, ou n'être qu'un parasite nourri par l'esprit des autres. Le créateur s'exprime, le parasite emprunte. Le créateur affronte la vie directement, le parasite à l'aide d'intermédiaires.

Le but du créateur est la conquête des éléments ; le but du parasite est la conquête des autres hommes.

Le créateur vit pour son œuvre. Il n'a pas besoin des autres. Son véritable but est en lui-même. Le parasite vit par dépendance. Il a besoin des autres. Les autres hommes sont pour lui le principe moteur.

Le besoin le plus profond du créateur est l'indépendance. L'esprit humain ne peut travailler sous la contrainte. Il ne peut être plié, sacrifié ou subordonné à des considérations quelles qu'elles soient. Et c'est pourquoi ses relations avec les autres hommes sont, pour le créateur, secondaires.

Le besoin profond du parasite est d'assurer ses biens avec les autres hommes. Il met au-dessus de tout les relations. Il déclare à qui veut l'entendre que l'homme est fait pour servir l'homme. Il prêche l'altruisme.

L'altruisme est cette doctrine qui demande que l'homme vive pour les autres et qu'il place les autres au-dessus de lui-même.

Or aucun homme ne peut vivre pour un autre. IL ne peut pas davantage démembrer son cerveau qu'il ne peut démembrer son corps. Mais le parasite s'est fait de l'altruisme une arme pour exploiter l'humanité et détruire les bases mêmes des principes moraux de l'humanité. Tout ce qu'on a enseigné à l'homme détruisait en lui le créateur, car on lui a fait croire que la dépendance est une vertu.

L'homme qui s'efforce de vivre pour les autres est un homme dépendant. Il est lui-même un parasite et transforme ceux qu'il sert en parasites. Rien ne peut résulter de cet échange qu'une mutuelle corruption. L'homme qui, dans la réalité s'approche le plus de cette conception est l'esclave. Si l'esclavage par la force est déjà une chose répugnante, que dire de l'esclavage spirituel. Il reste dans l'homme asservi un vestige d'honneur, le mérite d'avoir résisté et le fait de considérer sa situation comme mauvaise. Mais l'homme qui se transforme en esclave volontaire au nom de l'amour est la créature la plus basse qui existe. Elle porte atteinte à la dignité de l'homme et à la conception même de l'amour. Et telle est cependant l'essence même de l'altruisme.

On a enseigné à l'homme que la plus haute vertu n'était pas de créer mais de donner. Mais comment peut-on donner une chose avant de la créer ? La création vient avant le don, sans cela il n'y aurait rien à donner ; la nécessité intérieure du créateur avant les besoin des bénéficiaires éventuels. Et cependant on nous a appris à admirer l'être de second plan qui dispense des dons qu'il n'a pas créés, en passant par-dessus celui qui a rendu ce son possible. Nous appelons cela un acte de charité, et nous l'admirons davantage que l'acte de création.

Les hommes ont appris également que leur premier souci devait être de soulager les misères des autres hommes. Or la souffrance est une maladie. Si un homme se trouve en contact avec cette maladie, il est naturel qu'il cherche à donner au malade l'aide dont celui-ci a besoin, mais faire de cet acte la plus grande marque de vertu est faire de la souffrance la chose la plus importante de la vie. L'homme en arrive alors à souhaiter les souffrances des autres, afin de pouvoir faire montre de vertu. Telle est la nature même de l'altruisme. Le créateur, lui, n'a pas pour intérêt premier la souffrance, mais la vie. Mais en réalité, l'oeuvre des créateurs a plus fait pour supprimer sur la terre toutes les formes de souffrance, aussi bien morales que physiques que l'altruiste ne peut l'imaginer.

On a également enseigné à l'homme que faire chorus avec les autres est une vertu. Or le créateur est par essence même un homme qui s'oppose aux autres hommes. On a fait croire à l'homme que nager dans le courant est une vertu. Or le créateur est l'homme qui nage contre le courant. Les hommes croient également que vivre en foule est une vertu. Or le créateur est un homme qui vit seul.

On a enseigné à l'homme que le moi est synonyme de mal, et que l'oubli de soi-même est la plus haute des vertus. Mais le créateur est un égotiste dans le sens du mot le plus absolu, car l'homme dépourvu d'égotisme est celui qui ne pense, ne sent, ne juge ni n'agit par lui-même.

Et c'est ici que l'échelle des valeurs a été le plus dangereusement faussée ; que toute liberté a été enlevée à l'homme. C'était ou l'égotisme ou l'altruisme ; l'égotisme étant considéré comme le fait de sacrifier les autres à soi-même, l'altruisme le fait de se sacrifier soi-même aux autres. Ceci liait irrévocablement l'homme à l'homme, ne lui laissant le choix qu'entre deux partis également pénibles, ou souffrir par les autres ou faire souffrir les autres. Et lorsque enfin on eut persuadé l'homme qu'il trouverait ses plus grandes joies dans le sacrifice de lui-même, la trappe se referma. L'homme se vit forcé d'accepter le masochisme comme son idéal, puisque le sadisme était l'unique parti qui s'offrait à lui. Et ce fut là la plus grande tromperie qu'on eût jamais infligée à l'humanité.

Ce fut ainsi qu'on fit de la faiblesse et de la souffrance les bases mêmes de la vie.

Or, en réalité, ce n'est pas entre le sacrifice de soi et la domination des autres qu'il s'agit de choisir, mais entre l'indépendance et la dépendance. Entre le code du créateur et celui du parasite. Le code du créateur est bâti sur les besoins d'un esprit indépendant, celui du parasite sur les besoins d'un esprit dépendant. Or tout ce que produit un esprit indépendant est juste et tout ce qui provient d'un esprit dépendant est faux.

L'égotiste dans le sens le plus absolu du terme n'est pas l'homme qui sacrifie les autres. C'est celui qui a renoncé à se servir des hommes de quelque façon que ce soit, qui ne vit pas en fonction d'eux, qui ne fait pas des autres le moteur initial de ses actes, de ses pensées, de ses désirs, qui ne puise pas en eux la source de son énergie. Il n'existe pas en fonction d'un autre, pas plus qu'il ne demande à un autre d'exister en fonction de lui. C'est là la seule forme de fraternité, basée sur un respect mutuel possible entre les hommes.

L'homme peut être plus ou moins doué, mais un principe essentiel demeure : le degré d'indépendance à laquelle il est arrivé, son initiative personnelle et l'amour qu'il porte à son travail. C'est cela qui détermine et sa capacité en tant que travailleur, et sa valeur en tant qu'homme. L'indépendance est la seule jauge avec laquelle on puisse mesurer l'homme. Ce qu'un homme fait de lui-même et par lui-même et non ce qu'il fait ou ne fait pas pour les autres. Rien ne peut remplacer la dignité personnelle. Et il n'y a pas de dignité personnelle sans indépendance.

Dans les rapports humains tels qu'ils doivent être, il n'existe pas de notion de sacrifice. Un architecte ne peut vivre sans clients, mais cela ne veut pas dire qu'il doive subordonner son travail à leurs désirs. Ils ont besoin de lui, mais ils ne le chargent pas de leur construire une demeure simplement pour lui fournir du travail. Deux hommes échangent leur travail par un libre consentement mutuel, parce qu'ils y trouve l'un et l'autre leur intérêt et que tous deux désirent cet échange. Sinon, rien ne les y oblige. C'est là la seule forme possible de relations entre égaux. Toute autre conception est celle de l'esclave au maître ou de la victime à son bourreau.

Aucune œuvre digne de ce nom ne peut être accomplie collectivement, par la décision d'un majorité. Chaque création doit être conçue par un esprit original. Un architecte a besoin d'un grand nombre de corps de métiers pour construire le building qu'il a conçu, mais il ne leur demande pas d'approuver ses plans. Ils travaillent ensemble par consentement mutuel, chacun remplissant la fonction qui lui est propre. Un architecte se sert de l'acier, du verre, du béton que d'autres que lui ont préparés. Mais ces matériaux ne sont que des matériaux tant qu'il ne les a pas transformés en leur donnant une forme qui lui est personnelle. Voilà la seule forme possible de coopération entre les hommes.

Le premier droit de l'homme, c'est le droit d'être lui-même. Et le premier devoir de l'homme est son devoir envers lui-même. Et le principe moral le plus sacré est de ne jamais transposer dans d'autres êtres le but même de sa vie. L'obligation morale la plus importante pour l'homme est d'accomplir ce qu'il désire faire, à condition que ce principe ne dépende pas, avant tout, des autres. C'est uniquement selon un tel code que peut vivre, penser, créer le créateur. Mais ce n'est pas là la sphère du gangster, de l'altruiste ou du dictateur.

L'homme pense et travaille seul. Mais il ne peut pas piller, exploiter ou dominer… seul. Le pillage, l'exploitation de l'homme par l'homme et la dictature présupposent des victimes, donc des êtres dépendants. C'est le domaine du parasite.

Les conducteurs d'hommes ne sont pas des égotistes. Ils ne créent rien. Ils existent entièrement en fonction des autres. Leur but est d'asservir des êtres. Ils sont aussi dépendants que le mendiant, le travailleur social ou le bandit. La forme de dépendance importe peu.

Mais on enseigna aux hommes à considérer ces parasites, les tyrans, les empereurs, les dictateurs, comme des symboles même de l'égotisme. Et grâce à cette immense duperie, ceux-ci furent en mesure de détruire l'âme humaine, la leur aussi bien que celle des autres.

Depuis le début de l'ère historique, les deux antagonistes, le créateur et le parasite s'affrontèrent. Et à la première invention du créateur, le parasite répondit en inventant l'altruisme.

Le créateur… honni, persécuté, exploité, n'en allait pas moins de l'avant, emportant l'humanité dans le rythme de son énergie. Le parasite, lui, ne faisait rien d'autre que multiplier les obstacles. Cette lutte portait d'ailleurs un autre nom : celle de l'individu contre la collectivité.

Le “bien commun” de la collectivité en tant que race, que classe ou qu'Etat fut le but avoué et la justification de toutes les tyrannies qui furent imposées à l'homme. Les pires horreurs furent accomplies au nom de l'altruisme. Est-il possible que n'importe quel acte accompli par égoïsme ait jamais atteint aux carnages perpétrés au nom de l'altruisme ? La faute en est-elle à l'hypocrisie ou aux principes faux qu'on a inculqués aux hommes ? Les pires bouchers furent les hommes les plus sincères. Ils croyaient atteindre à la société parfaite grâce à la guillotine et au peloton d'exécution. Personne ne leur demanda raison de leurs meurtres, puisqu'ils les accomplissaient par altruisme. Les acteurs changent, mais la tragédie reste la même. Un être soi-disant humanitaire commence par des déclarations d'amour pour l'humanité et finit par faire verser des mares de sang. Cela continue et cela continuera tant que l'on fera croire à l'homme qu'une action est bonne à condition de ne pas avoir été dictée par l'égoïsme. Cela autorise l'altruiste à agir et oblige ses victimes à tout supporter. Les chefs des mouvements collectivistes ne demandent jamais rien pour eux-même, mais observez les résultats.

Prenez maintenant une société édifiée sur le principe de l'individualisme, ce pays, le notre. Le pays le plus noble dans toute l'histoire du monde. Le pays des entreprises les plus grandioses, de la plus grande prospérité, de la plus grande liberté. La société n'y avait pas été basée sur la servitude, le sacrifice, le renoncement et autres principes d'altruisme, mais sur le droit de l'homme d'aspirer au bonheur. A son bonheur à lui et non à celui de quelqu'un d'autre. Un but privé, personnel, égoïste. Regardez donc les résultats et faites un examen de conscience.

C'est un conflit vieux comme le monde. Les hommes se sont parfois rapprochés de la vérité, mais chaque fois ils ont échoué près du but et les civilisations ont disparu les unes après les autres. La civilisation n'est rien d'autre que le développement de la vie privée. L'existence tout entière du sauvage se déroule en public, commandée par les lois de la tribu. La civilisation n'a d'autre but que de libérer l'homme de l'homme.

Or, dans notre pays, en ce moment, le collectivisme, la loi des êtres de seconde zone et de second ordre, a brisé les entraves et se déchaîne. Il a amené l'homme a un état d'abaissement intellectuel jamais atteint sur la terre, aboutissant à des horreurs sans précédent. Il a empoisonné la plupart des esprits et avalé la plus grande partie de l'Europe, commence à gagner notre patrie.

Je suis architecte. Je sais ce à quoi nous sommes en droit de nous attendre, étant donné les principes sur lesquels le collectivisme est construit. Nous approchons d'un temps où il ne sera plus permis de vivre.

Vous savez maintenant pourquoi j'ai détruit Cortland.

Je l'ai conçu, je vous l'ai donné, je l'ai détruit.

Je l'ai détruit car il ne m'était pas possible de le laisser debout. C'était deux fois un monstre, par la forme et par l'intention. Il m'a fallu détruire l'un et l'autre. La forme fut mutilée par deux de ces parasites qui s'étaient octroyé le droit d'améliorer une oeuvre dont ils n'étaient pas les auteurs et qu'ils n'auraient pu égaler. Et on les laissa faire sous le prétexte que le but altruiste du bâtiment surpassait toutes autres considérations. Que pouvais-je opposer à cela ?

J'avais accepté de faire le projet de Cortland pour la joie de le voir bâtir tel que je l'avais conçu et pour aucune autre raison. C'était là le prix que j'avais demandé pour mon travail. Il ne me fut pas payé.

Je ne jette pas le blâme sur Peter Keating. Il était sans défense. Il avait un contrat avec l'Etat, ce contrat fut ignoré. Il avait reçu la promesse que le building serait érigé selon les plans du projet. Cette promesse fut brisée. L'amour d'un homme pour son travail et son droit à le protéger sont actuellement considérés comme des notions vagues et confuses, ainsi que vous l'a dit tout à l'heure monsieur le procureur. Et maintenant, pour quelle raison le building dont je vous parle fut-il défiguré ? Sans raison. De tels actes ne sont jamais motivés, excepté par la vanité de quelques parasites qui se sentent des droits sur la propriété des autres, qu'elle soit matérielle ou spirituelle. Et qui leur a permis d'agir ainsi ? Personne en particulier parmi les nombreuses autorités. Personne ne s'est donné la peine d'autoriser cela ou de l'empêcher. Personne n'est responsable. Telle est la caractéristique de toute action de la collectivité

Je n'ai pas reçu pour mon travail le paiement que j'avais demandé. Les propriétaires de Cortland, eux avaient reçu de moi ce qu'ils demandaient. Ils voulaient un projet leur permettant de construire aussi bon marché que possible. Personne encore ne leur avait donné satisfaction. J'y parvins. Ils prirent ce que je leur donnais et ne voulurent rien me donner en retour. Mais moi je ne suis pas un altruiste et je ne fais pas des dons de ce genre.

On a dit que j'avais détruit le futur home des déshérités, mais sans moi les déshérités n'auraient pas eu ce home-là. On a dit aussi que la pauvreté des futurs locataires leur donnait des droits sur mon travail. Que leurs besoins exigeaient de moi certaines concession, qu'il était de mon devoir de contribuer à leur donner du bien-être. C'est là le credo des parasites qui actuellement régissent le monde.

Je tiens à déclarer ici que je ne suis pas un homme qui existe en fonction des autres.

C'est une chose qui devait être dite, car le monde périt d'une orgie de sacrifice de soi-même.

Je tiens à déclarer aussi que l'intégrité de l'oeuvre d'un artiste est plus importante que son but charitable. Ceux d'entre vous qui ne comprennent pas cela font partie de cette humanité qui est en train de détruire le monde.

Je suis heureux d'avoir pu déclarer ici mes principes. Je ne puis en accepter d'autres.

Je ne me reconnais envers les hommes aucune obligation autre que celle-ci : respecter leur indépendance comme j'exige qu'ils respectent la mienne et ne jouer aucun rôle dans une société d'esclaves. Et si je suis condamné, cela voudra dire que mon pays n'est plus ce qu'il était . Et c'est à lui que je dédierai les années que je passerai en prison. Je les lui offrira en témoignage de gratitude et d'admiration pour ce qu'il a été. Et mon refus de vivre et de travailler dans ce monde tel qu'il est sera de ma part un acte de loyalisme.

Ces années de prison, je les accomplirai aussi pour chaque créateur qui eut à souffrir des forces mauvaises qui m'obligèrent à détruire Cortland. En souvenir de chaque heure de solitude, d'échec, de découragement qu'il fut amené à supporter, et de la dure bataille qu'il livre. Pour tous les créateurs dont les noms sont célèbres et pour tous ceux qui luttèrent et succombèrent, inconnus. Pour tout créateur dont on essaya de détruire l'âme et le corps. Pour Henry Cameron, pour Steven Mallory. Et pour un homme qui ne me pardonnerait pas de le nommer, mais qui est dans cette salle et qui sait que c'est à lui que je m'adresse.


Ayn Rand in La Source Vive



L'Enfer de Pitesti (Virgil Ierunca)


La Securitate, police politique roumaine, a utilisé lors des interrogatoires les méthodes "classiques" de torture: passage à tabac, coups sur la plante des pieds et suspension par les pieds, tête en bas. A Pitesti, la cruauté des tortures a dépassé de loin ces méthodes:
Toute la gamme-possible et impossible-des supplices fut pratiquée: diverses parties du corps étaient brûlées à la cigarette; des prisonniers avaient les fesses nécrosées, leur chair tombait comme celle des lépreux; on en forçait d'autres à avaler toute une gamelle d'excréments et, quand ils vomissaient, on leur rentrait leur vomissure dans la gorge.
L'imagination délirante de Turcanu se déchaînait tout particulièrement contre les étudiants croyants qui refusaient de renier Dieu. Certains étaient "baptisés" tous les matins de la façon suivante: on leur plongeait la tête dans la tinette pleine d'urine et de matières fécales, tandis que les autres détenus psalmodiaient autour de la formule du baptême. Pour que le supplicié ne se noie pas, on lui sortait la tête de temps en temps et on le laissait brièvement respirer avant de la lui replonger dans le magma. L'un de ces "baptisés", qui avait été systématiquement torturé de la sorte, avait acquis un automatisme qui dura deux mois environ: tous les matins, il allait de lui-même plonger la tête dans le baquet, à la grande joie des rééducateurs.
Quant aux séminaristes, Turcanu les obligeait à officier dans les messes noires qu'il mettait en scène, surtout pendant la semaine sainte, le soir de Pâcques. Certains faisaient les chantres, les autres les prêtres. Le texte de la liturgie de Turcanu était évidemment pornographique, il paraphrasait de manière démoniaque l'original. La Sainte Vierge était appelée "la grande putain" et Jésus "le connard qui est mort sur la croix". Le séminariste qui jouait le rôle du prêtre devait se déshabiller complètement, on l'enveloppait dans un drap maculé d'excréments et on lui accrochait au cou un phallus confectionné avec du savon et la mie de pain et saupoudré de DDT. En 1950, lors de la nuit de Pâcques, les étudiants en cours de rééducation eurent à passer devant un tel "prêtre", à baiser le phallus et à dire: "Christ est ressuscité."

Virgil Ierunca in Pitesti

mercredi 17 octobre 2007

Les Droits des Animaux (Murray Rothbard)


Une nouvelle mode se répand depuis quelque temps qui consiste à étendre le concept de Droits aux animaux et à affirmer que ceux-ci disposeraient de tous les Droits des hommes, et qu’il serait donc illégitime — c’est-à-dire qu’aucun homme n’aurait le Droit — de les tuer ou de les manger.

Cette thèse soulève évidemment un grand nombre de difficultés, dont celle d’établir un critère pour choisir entre les animaux à inclure dans la sphère des Droits et ceux qui en sont exclus. (Par exemple, peu de théoriciens iraient aussi loin qu’Albert Schweitzer, qui niait à quiconque le Droit d’écraser une blatte. Et s’il fallait que la théorie s’applique non seulement aux êtres conscients mais à tous les êtres vivants, bactéries et plantes comprises, la race humaine s’éteindrait rapidement.)

Cependant, le vice essentiel de la doctrine des “Droits des animaux” est plus fondamental et d’une portée plus grande. En effet, l’affirmation des Droits de l’homme ne relève pas de l’émotivité ; si les individus ont des Droits, ce n’est pas pas parce que nous “sentons” qu’il doit en être ainsi, mais parce que l’examen rationnel de la nature de l’homme et de l’univers le démontre. Autrement dit, l’homme a des Droits parce que ce sont des Droits naturels. Ils sont ancrés dans la nature de l’homme : dans sa capacité individuelle de poser des choix conscients, dans la nécessité pour lui d’employer sa raison et son énergie pour adopter des objectifs et des valeurs, pour appréhender le monde, pour poursuivre ses fins de survie et de prospérité, dans sa capacité et son besoin de communiquer, d’interagir avec d’autres êtres humains et de participer à la division du travail. Bref, l’homme est un animal rationnel et social. Aucun autre animal, aucun autre être ne possède le même faculté de raisonner, de poser des choix conscients, de transformer son milieu aux fins de sa prospérité, de participer consciemment à la société et à la division du travail.



Par conséquent, si les Droits naturels, comme nous l’avons dit et redit, sont absolus, il est un sens, mais un seul, dans lequel on doit les considérer comme relatifs : ils sont relatifs à l’espèce humaine. Une éthique des Droits pour l’humanité signifie précisément qu’elle s’applique à tous les hommes, sans distinction de race, de croyances, de couleur ou de sexe, mais à l’espèce humaine exclusivement. La Bible a raison de dire que l’homme a reçu — en Droit naturel, on dirait qu’il détient — la capacité de dominer toutes les espèces de la terre. Le Droit naturel est nécessairement lié à l’espèce.

Pour nous persuader que le concept d’éthique de l’espèce fait partie de la nature de l’univers, il suffit d’observer ce que font les autres espèces dans la nature. Ce n’est pas seulement une plaisanterie que de relever le fait que les animaux, eux, ne respectent pas les prétendus Droits de leurs semblables ; que, dans l’état de l’univers, la condition de toutes les espèces naturelles veut qu’elles survivent en mangeant d’autres espèces. Entre les diverses espèces, la survie est question de dents et de griffes. Il serait sans nul doute absurde d’affirmer que le loup est “mauvais” parce qu’il passe sa vie à dévorer et “agresser” les agneaux, les poules, etc. Le loup n’est pas un être méchant qui “commet des agressions” contre les autres espèces ; il ne fait que suivre la loi naturelle de sa propre survie. Il en est de même pour l’homme. Dire que l’homme commet des “agressions” contre les vaches est aussi insensé que de dire des loups qu’ils “commettent des agressions” contre les moutons. Et si un homme tue le loup qui l’a attaqué, il serait absurde de dire que le loup était un “méchant agresseur” ou qu’il a été “puni” pour son crime. C’est pourtant bien ce qu’impliquerait d’étendre aux animaux l’éthique des Droits naturels. Les concepts de Droits, de crime ou d’agression ne s’appliquent qu’aux actions des hommes envers d’autres hommes.

Que dire du problème du martien ? S’il arrivait qu’un jour nous rencontrions des êtres d’une autre planète, devrait-on leur reconnaître, à eux, les Droits des êtres humains ? La réponse est que cela dépendrait de leur nature. Si nos martiens hypothétiques étaient semblables à l’homme — conscients, rationnels, capables de communiquer avec nous et de participer à la division du travail —, on peut penser qu’ils seraient eux aussi détenteurs des Droits actuellement réservés aux humains domiciliés sur notre planète. Imaginons au contraire que nos martiens possèdent les attributs et la nature des vampires de la légende, et qu’ils ne puissent survivre qu’en se nourrissant de sang humain. Dans ce cas, aussi intelligents qu’ils soient, ils seraient nos ennemis mortels et nous ne pourrions les considérer comme titulaires des mêmes Droits que l’humanité. Ennemis mortels, encore une fois, non pas parce qu’ils seraient de méchants agresseurs, mais simplement parce que les conditions et exigences de leur nature les mettraient inéluctablement en état de conflit avec les nôtres.

Ainsi est-elle à peu près juste, cette boutade selon laquelle “nous reconnaîtrons les Droits des animaux quand ils les réclameront”. Le fait que, de toute évidence, les animaux sont incapables de pétitionner pour leurs “Droits” relève de leur nature et constitue une partie de l’explication du fait qu’ils ne sont pas équivalents à l’être humain et ne possèdent pas ses Droits. Et à l’objection que les bébés ne peuvent pétitionner davantage, la réponse est que les bébés sont de futurs adultes humains, ce que les animaux ne sont certes pas.

Murray Rothbard in L'éthique de la liberté

La Gabelle des Tribuns (Ernst Jünger)


Je romps mon jeûne en avalant une bonne gorgée d’eau salée, dont je me gargarise. Il n’y a rien non plus de meilleur pour les dents ; c’est ce que j’ai appris des pêcheurs et des hommes simples qui demeurent sur le rivage. Ils y vivent sobrement, à la manière ancienne, agréable à l’anarque. Leur sel provient, lui aussi, de la mer : ils le grattent dans les fissures et les creux des rochers, où il se cristallise. Du temps des Tribuns, c’était interdit ; ils avaient tout réglementé jusque dans le moindre détail. Le sel, dont le prix s’était cent fois multiplié, ne pouvait s’acheter que dans leurs dépôts. Ils le faisaient aussi couper de matières que leurs chimistes prétendaient bénéfiques, mais qui en fait, étaient plutôt nocives. Que de tels esprits se prennent pour des penseurs, c’est excusable ; mais ils se veulent aussi bienfaiteurs.
Des gabelous patrouillaient sur le rivage et épiaient les pauvres. Mesure particulièrement odieuse, car l’or et le sel devraient appartenir à tout homme, en tant que pur équivalent de son travail, tel qu’il l’extrait du sable des rivières ou qu’il le gratte dans la falaise. Le Condor autorisa l’une et l’autre activité : ce fut l’une des premières mesures qui le rendirent populaires.



Un peu de générosité compense beaucoup d’administration. Les Tribuns étaient des redistributeurs ; ils élevaient le prix du pain du pauvre, pour faire son bonheur au moyen de leurs idées - par exemple, en édifiant des universités ruineuses, dont les diplômés, en chômage, tombaient à la charge de l’État-providence, donc, une fois encore, des pauvres, et n’auraient pour rien au monde pris un marteau en main.
Le pauvre, pour autant qu’il n’a pas une mentalité de parasite, veut voir aussi peu d’État que possible, quels que soient les prétextes sous lesquels l’État s’offre à lui. Il ne veut être contraint ni à l’école, ni à la vaccination, ni au service militaire ; toutes ces institutions ont absurdement accru le nombre des pauvres, et, avec eux, la pauvreté.

Ernst Jünger, in Eumeswil

De la Canaille (Friedrich Nietzsche)

La vie est une source de joie, mais partout où la canaille vient boire, toutes les fontaines sont empoisonnées.

J'aime tout ce qui est propre ; puis je ne puis voir les gueules grimaçantes et la soif des gens impurs.

Ils ont jeté leur regard au fond du puits, maintenant leur sourire odieux se reflète au fond du puits et me regarde.

Ils ont empoisonné par leur concupiscence l'eau sainte ; et, en appelant joie leurs rêves malpropres, ils ont empoisonné même le langage.

La flamme s'indigne lorsqu'ils mettent au feu leur cœur humide ; l'esprit lui-même bouillonne et fume quand la canaille s'approche du feu.

Le fruit devient douceâtre et blet dans leurs mains ; leur regard évente et dessèche l'arbre fruitier.

Et plus d'un de ceux qui se détournèrent de la vie ne s'est détourné que de la canaille : il ne voulait point partager avec la canaille l'eau, la flamme et le fruit.

Et plus d'un s'en fut au désert et y souffrit la soif parmi les bêtes sauvages, pour ne points s'asseoir autour de la citerne en compagnie de chameliers malpropres.

Et plus d'un, qui arrivait en exterminateur et en coup de grêle pour les champs de blé, voulait seulement pousser son pied dans la gueule de la canaille, afin de lui boucher le gosier.

Et ce n'est point là le morceau qui me fut le plus dur à avaler : la conviction que la vie elle-même a besoin d'inimitié, de trépas et de croix de martyrs : —

Mais j'ai demandé un jour, et j'étouffai presque de ma question : comment ? la vie aurait-elle besoin de la canaille ?

Les fontaines empoisonnées, les feux puants, les rêves souillés et les vers dans le pain sont-ils nécessaires ?

Ce n'est pas ma haine, mais mon dégoût qui dévorait ma vie ! Hélas ! souvent je me suis fatigué de l'esprit, lorsque je trouvais que la canaille était spirituelle, elle aussi !

Et j'ai tourné le dos aux dominateurs, lorsque je vis ce qu'ils appellent aujourd'hui dominer : trafiquer et marchander la puissance — avec la canaille !

J'ai demeuré parmi les peuples, étranger de langue et les oreilles closes, afin que le langage de leur trafic et leur marchandage pour la puissance me restassent étrangers.



Et, en me bouchant le nez, j'ai traversé, plein de découragement, le passé et l'avenir ; en vérité, le passé et l'avenir sentent la populace écrivassière !

Semblable à un estropié devenu sourd, aveugle et muet : tel j'ai vécu longtemps pour ne pas vivre avec la canaille du pouvoir, de la plume et de la joie.

Péniblement et avec prudence mon esprit a monté des degrés ; les aumônes de la joie furent sa consolation ; la vie de l'aveugle s'écoulait, appuyée sur un bâton.

Que m'est-il donc arrivé ? Comment me suis-je délivré du dégoût ? Qui a rajeuni mes yeux ? Comment me suis-je envolé vers les hauteurs où il n'y a plus de canaille assise à la fontaine ?

Mon dégoût lui-même m'a-t-il créé des ailes et les forces qui pressentaient les sources ? En vérité, j'ai dû voler au plus haut pour retrouver la fontaine de la joie !

Oh ! je l'ai trouvée, mes frères ! Ici, au plus haut jaillit pour moi la fontaine de la joie ! Et il y a une vie où l'on s'abreuve sans la canaille !

Tu jaillis presque avec trop de violence, source de joie ! Et souvent tu renverses de nouveau la coupe en voulant la remplir !

Il faut que j'apprenne à t'approcher plus modestement : avec trop de violence mon cœur afflue à ta rencontre : —

Mon cœur où se consume mon été, cet été court, chaud, mélancolique et bienheureux : combien mon cœur estival désire ta fraîcheur, source de joie !

Passée, l'hésitante affliction de mon printemps ! Passée, la méchanceté de mes flocons de neige en juin ! Je devins estival tout entier, tout entier après-midi d'été !

Un été dans les plus grandes hauteurs, avec de froides sources et une bienheureuse tranquillité : venez, ô mes amis, que ce calme grandisse en félicité !

Car ceci est notre hauteur et notre patrie : notre demeure est trop haute et trop escarpée pour tous les impurs et la soif des impurs.

Jetez donc vos purs regards dans la source de ma joie, amis ! Comment s'en troublerait-elle ? Elle vous sourira avec sa pureté.

Nous bâtirons notre nid sur l'arbre de l'avenir ; des aigles nous apporterons la nourriture, dans leurs becs, à nous autres solitaires !

En vérité, ce ne seront point des nourritures que les impurs pourront partager ! Car les impurs s'imagineraient dévorer du feu et se brûler la gueule !

En vérité, ici nous ne préparons point de demeures pour les impurs. Notre bonheur semblerait glacial à leur corps et à leur esprit !

Et nous voulons vivre au-dessus d'eux comme des vents forts, voisins des aigles, voisins du soleil : ainsi vivent les vents forts.

Et, semblable au vent, je soufflerai un jour parmi eux, à leur esprit je couperai la respiration, avec mon esprit : ainsi le veut mon avenir.

En vérité, Zarathoustra est un vent fort pour tous les bas-fonds ; et il donne ce conseil à ses ennemis et à tout ce qui crache et vomit : "Gardez-vous de cracher contre le vent !"


Ainsi parlait Zarathoustra.


Friedrich Nietzsche, in Ainsi parlait Zarathoustra

samedi 13 octobre 2007

Dévorer la botte... (Maurice G. Dantec)


Au lieu de bêtement suivre le conseil d'un philosophe allemand de l'époque-encore un!- ils avaient tous et chacun compris que non seulement il était possible d'écrire après Auschwitz mais mieux encore, que cela était devenu plus que jamais nécessaire.
Les camps nazis ou communistes ne les ont pas fait taire. Le Camp-Monde n'y parviendra pas, lui non plus. Car je suis l'Orchestre du Camp, je suis ce qui les fait renaître au milieu de l'Anus Mundi.
Le silence n'est pas une réponse au bâillon appliqué sur la bouche. Il en est la triste conséquence, et le reste n'est que sophisme.
Un jour Chrysler Campbell lui avait parlé d'un aphorisme de George orwell, un auteur du milieu du siècle passé, dont le livre le plus célèbre avait presque prévu terme à terme le monde de la Métastructure. Cet écrivain avait dit un jour que l'avenir ressemblerait à une botte qui, éternellement, écraserait une bouche.
Chrysler lui avait indiqué qu'un écrivain français, dont il avait oublié le nom, avait poursuivi l'aphorisme en disant: Mais il reste une chance à la bouche. Elle peut, si la volonté est suffisante, dévorer la botte et le pied qui à l'intérieur.
Je suis la bouche, pensa Link de Nova, et je suis affamé, la botte n'a qu'à bien se tenir.

Maurice G. Dantec in Grande Jonction