mercredi 17 octobre 2007
La Gabelle des Tribuns (Ernst Jünger)
Je romps mon jeûne en avalant une bonne gorgée d’eau salée, dont je me gargarise. Il n’y a rien non plus de meilleur pour les dents ; c’est ce que j’ai appris des pêcheurs et des hommes simples qui demeurent sur le rivage. Ils y vivent sobrement, à la manière ancienne, agréable à l’anarque. Leur sel provient, lui aussi, de la mer : ils le grattent dans les fissures et les creux des rochers, où il se cristallise. Du temps des Tribuns, c’était interdit ; ils avaient tout réglementé jusque dans le moindre détail. Le sel, dont le prix s’était cent fois multiplié, ne pouvait s’acheter que dans leurs dépôts. Ils le faisaient aussi couper de matières que leurs chimistes prétendaient bénéfiques, mais qui en fait, étaient plutôt nocives. Que de tels esprits se prennent pour des penseurs, c’est excusable ; mais ils se veulent aussi bienfaiteurs.
Des gabelous patrouillaient sur le rivage et épiaient les pauvres. Mesure particulièrement odieuse, car l’or et le sel devraient appartenir à tout homme, en tant que pur équivalent de son travail, tel qu’il l’extrait du sable des rivières ou qu’il le gratte dans la falaise. Le Condor autorisa l’une et l’autre activité : ce fut l’une des premières mesures qui le rendirent populaires.
Un peu de générosité compense beaucoup d’administration. Les Tribuns étaient des redistributeurs ; ils élevaient le prix du pain du pauvre, pour faire son bonheur au moyen de leurs idées - par exemple, en édifiant des universités ruineuses, dont les diplômés, en chômage, tombaient à la charge de l’État-providence, donc, une fois encore, des pauvres, et n’auraient pour rien au monde pris un marteau en main.
Le pauvre, pour autant qu’il n’a pas une mentalité de parasite, veut voir aussi peu d’État que possible, quels que soient les prétextes sous lesquels l’État s’offre à lui. Il ne veut être contraint ni à l’école, ni à la vaccination, ni au service militaire ; toutes ces institutions ont absurdement accru le nombre des pauvres, et, avec eux, la pauvreté.
Ernst Jünger, in Eumeswil
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